Deux poèmes de LAMARTINE...
Le livre de la vie est le livre suprême
Qu'on ne peut ni fermer, ni rouvrir à son choix;
Le passage attachant ne s'y lit pas deux fois,
Mais le feuillet fatal se tourne de lui-même;
On voudrait revenir à la page où l'on aime,
Et la page où l'on meurt est déjà sous vos doigts
L'AUTOMNE
Salut bois couronné d’un reste de verdure
Feuillage jaunissant sur les gazons épars
Salut, dernier beau jour, le deuil de la nature
Convient à ma douleur et plait à mes regards
Je suis d’un pas rêveur le sentier solitaire
J’aime à revoir, pour la dernière fois
Le soleil palissant dont la faible lumière
Perce à peine à mes pieds l’obscurité des bois
Oui en ses jours d’automne ou la nature expire
À ses regards voilés, je trouve plus d’attraits
C’est l’adieu d’un ami, c’est le dernier sourire
Des lèvres que la mort va fermer à jamais
Ainsi, prêt à quitter l'horizon de la vie,
Pleurant de mes longs jours l'espoir évanoui,
Je me retourne encore, et d'un regard d'envie
Je contemple ses biens dont je n'ai pas joui !
Terre, soleil, vallon, belle et douce nature
Je vous dois une larme au bord de mon tombeau,
L’air est si parfumé, la lumière est si pure
Au regard d’un mourant le soleil est si beau
Je voudrais maintenant vider jusqu’à la lie
Ce calice mêlé de nectar et de fiel
Dans cette coupe ou je buvais la lie
Peut-être reste-il une goutte de miel ?
Peut-être l'avenir me gardait-il encore
Un retour de bonheur dont l'espoir est perdu ?
Peut-être dans la foule, une âme que j'ignore
Aurait compris mon âme, et m'aurait répondu ?...
La fleur tombe en livrant ses parfums au zéphire;
À la vie, au soleil, ce sont là ses adieux;
Moi, je meurs; et mon âme, au moment qu'elle expire,
S'exhale comme un son triste et mélodieux.
Et un d'Émile Verhaeren
LA PARTRIE AUX SOLDATS MORTS
Vous ne reverrez plus les monts, les bois, la terre
Beaux yeux de mes soldats qui n’aviez que vingt ans
Et qui êtes tombés en ce dernier printemps
Où plus que jamais douce apparut la lumière.
On n’osait plus songer au réveil des champs d’or
Que l’aube revêtait de sa gloire irisée;
Seule, la sombre guerre occupait la pensée
Quand, au fond des hameaux, on apprit votre mort.
Depuis votre départ, à l’angle de la glace,
Votre image attirait et le coeur et les yeux;
Et nul ne s’asseyait sur l’escabeau boiteux
Où tous les soirs, près du foyer, vous preniez place.
Hélas! Où sont vos corps jeunes, puissants et fous ?
Où sont vos bras, vos mains et les gestes superbes
Qu’avec la grande faux vous faisiez dans les herbes ?
Hélas, la nuit immense est descendue en vous.
Vos mères ont pleuré dans leur chaumière close,
Vos amantes ont dit leur peine aux gens du bourg,
On a parlé de vous, tristement, tous les jours,
Et puis un soir de juin, on parla d’autre chose…
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